Nous nous réveillons donc le mardi 22 décembre au matin dans notre chambre d'hôte chez les Pakistanais, en face du Zoo de Tsimbazaza. La grille devant le restaurant au rez-de-chaussée est fermée ! Les gérants nous expliquent qu'ils s'attendent à des émeutes aujourd'hui car il y a l'Assemblée Nationale juste à côté et qu'ils ferment : ils ne nous auraient pas gardés une nuit de plus. Nous sortons donc par une porte dérobée. Ils nous disent juste de ne pas redescendre la rue car l'Assemblée Nationale est 300 mètres plus bas. Le décor est planté.
Nous visitons donc le zoo tout le matin. Vers 14H, nous le quittons. Nous remontons la rue pour redescendre par un autre quartier. Aucun véhicule, aucun taxi, aucun taxi-bus de ville ne circulent. Bizarre...
Nous redescendons donc vers le centre-ville en ayant contourné de 2 bons kilomètres le quartier de l'Assemblée Nationale. Plus nous avançons, plus nous sentons de la tension dans les rues : des gens agités, qui marchent d'un pas rapide, qui se regroupent pour écouter la radio, qui nous dévisagent. Nous sommes les seuls Vazahas (hommes blancs) mais nous ne sommes pas surpris : il n'y a quasiment pas de touristes à Tana. On se sent quand même de plus en plus observés. A un moment, on arrive à un carrefour et une foule de personnes va en contresens. L'un d'entre eux nous dit de rebrousser chemin car il y a des jets de pierre un peu plus loin. On retourne donc. Une dame vient vers nous en nous disant de partir vite car il y a un gros risque de se faire dépouiller. Un groupe commence à se constituer autour de nous... Nous repartons sur un bon rythme cette fois-ci en évitant de regarder les gens pour ne pas qu'ils se sentent offensés.
Après un 1/4 d'heure de marche, nous tombons sur un taxi qui veut bien nous prendre mais en gonflant bien les tarifs vu la situation dans laquelle on est : Vazahas au milieu d'un quartier bouillonnant. Nous sommes obligés d'accepter. Direction l'Ambassade de France.
Nous signalons donc à l'Ambassade ce que nous avons vu. Ils prennent en compte ce qu'on leur dit et se renseignent auprès du Consulat. Ils vont suivre l'évolution de la situation pour voir ce qu'ils font des ressortissants français sur Tana. Ils informent dans un 1er temps tout le monde par texto de ne pas traîner dans le quartier de Tsimbazaza.
C'est en lisant la presse du jour que nous avons compris ce qu'il se passait :
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Rentrée parlementaire sous tension
Alors que les membres du Congrès de la Transition désignés par les trois mouvances Ravalomanana, Zafy et Ratsiraka sont convoqués ce jour à Tsimbazaza pour une première réunion, l’incertitude la plus grande pèse sur la tenue effective de cette réunion.
En effet, les autorités en place ont promulgué l’abrogation de la Charte de Maputo et de l’acte additionnel d’Addis Abeba et ont annulé en conséquence les pouvoirs de Mamy Rakotoarivelo en tant que Président du Congrès. De fait, celui-ci a été empêché d’accéder ce lundi au palais de Tsimbazaza. En effet, le lieu était fortement gardé par des militaires. On ne sait si les démarches des trois mouvances auprès du Conseil d’État (voir article par ailleurs) seront suffisantes pour lever ce blocage.
Les manifestants du Magro, mobilisés ce jour pour manifester leur solidarité avec « leurs » membres du Congrès, pourraient également entrer en jeu dans cette équation complexe. "
Mamy Rakotoarivelo, président du Congrès de la transition, sera mis en sécurité dans un lieu tenu secret à Madagascar
C'est en lisant la presse du lendemain que nous nous rendons compte que la situation était assez chaude :
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Tirs à balles réelles
Les militants des 3 mouvances ont fait une marche ce matin vers le Palais de Tsimbazaza pour installer les 156 députés des 3 mouvances dans l’hémicycle.
Il y a eu des tirs à balles réelles sur la population civile. Les forces de répression à la solde des putschistes s’attaquaient aux innocents de façon aléatoire ou à la tête du client.
Le bilan provisoire à cette heure ci est d’au moins un mort, une personne capturée, 6 blessés, 2 personnes opérées. Par ailleurs, une femme député de la mouvance Ratsiraka a été évacuée à l’hôpital Ravohangy-Andrianavalona d’Antananarivo."
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Gaz lacrimogènes au cyanure
Nous apprenons que la répression perpétrée par les putschistes s’effectue avec des gaz lacrymogènes au Cyanure. Nous nous sommes laissés dire que ceci est totalement interdit par la règlementation internationale. Mais des putschistes qui répriment leur propre peuple avec la complicité de grande puissance ont-ils à faire avec la règlementation et les lois? Seule la logique des armes accompagnée de violences sur des innocents a cours.
Des barrages sont en train de s’ériger en plusieurs endroits comme Marohoho, Manakambahiny et Ankadimbahoaka. Il est à noter que le rond-point de Tsimbazaza a été bouclé par des militaires lourdement armés depuis des heures et que les tirs de lacrymogènes ont commencé à cet endroit.
Le colonel Ravalomanana en tenue d’apparat poursuit les civils jusque dans les rizières."